Première partie de l'exposé présenté devant les professeurs de prepa.
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L'étude de la morphogenèse est une branche de la physique, comme de la biologie, qui cherche à comprendre par quels mécanismes une forme apparaît et se developpe. Il existe bien entendu un nombre illimité de formes possibles, et toutes ne sont pas des objets d'étude pour physiciens. Cependant, des progrès récents tant en biologie, en physique qu'en informatique ont permis d'aborder de nouveaux sujets réputés "complexes", dans le domaine de la morphogenèse, sur une base quasiment mécaniste.
Dans notre laboratoire nous nous attachons à étudier et comprendre les structures arborescentes, en particulier les croissances dendritiques monocristallines ou pulvérulentes, les vaisseaux sanguins,ou le poumon, mais dans le même temps, on en vient à étudier les doigts, les glandes arborisées et le rein. Evidemment, ce mouvement d'ideés dépasse notre laboratoire et de nombreux chercheurs dans le monde agitent des idées dans la même mouvance. Un élement qui saute aux yeux est le caractère interdisciplinaire de ces progrès, et le fait, qui apparaîtra plus clairement plus bas, que ces progrès permettent de traiter des objets naturels variés Notre expérience en croissance arborisée nous vient d'une longue fréquentation de systèmes physiques minéraux ou métalliques donnant des croissances de "dendrites", c'est-à-dire des cristallisations branchues, comme celle ci-dessous. Légende: Il s'agit ci-dessous d'une cristallisation de silicium, dans un film d'aluminium passé au four.
ou bien encore :
Légende: Il s'agit cette fois de cuivre obtenu par électrolyse. Le cuivre se dépose sur une plaque de verre (un peu comme du givre sur un pare-brise). Le champ électrique est orienté du haut vers le bas, dans cette expérience. En voir d'autres.
Voici le montage expérimental permettant de produire les "fougères" électrochimiques ci-dessus (pas compliqué, comme on le voit).
Ces systèmes sont connus depuis fort longtemps, et ils ont "depuis toujours" posé problème aux naturalistes de jadis. On trouve des descriptions très fines d'arborisations de ce genre depuis le début du seizième siècle (!) au moins, sinon depuis l'antiquité (voir les dendrites de Pline et Strabon).
Légende: On verra ci-dessus une gravure de Homberg, chimiste de la fin du dix-septième siècle. On peut visiter une galerie complète de planches anciennes, pour se convaincre de l'ancienneté et de la profondeur du questionnement sur ces arborisations sur le site http://pmc.polytechnique.fr/vf, où cet exposé sera également posté Accéder directement aux vieilles gravures
Après de nombreuses études sur les croissances dendritiques, nous avons essayé d'appliquer "l'artillerie lourde" de la physique à des systèmes biologiques, car on s'est assez tôt aperçu qu'il y avait des points communs entre ces croissances purement physiques, et des croissances biologiques, comme la croissance des vaisseaux sanguins ou des reins. Ce rapprochement s'est révélé très fructueux, pour des raisons profondes liées à "l'universalité" des formes (voir plus loin).
Depuis quelques années nous étudions donc explicitement la formation des vaisseaux sanguins et des organes, comme le poumon ou le rein, mais avec un regard de physicien. Plus récemment encore, nous nous sommes intéressé à la formation des doigts, plus particulièrement en rapport avec les empreintes digitales.
Une question profonde qu'on ne peut pas éludier, mais qui est aussi un peu polémique, est de savoir jusqu'à quel point la physique joue un rôle dans la morphogenèse, et jusqu'où peut-on se passe des gènes?...
Je vais d'abord détailler, ci-après, un cas particulier qui illustre bien le sujet de la morphogenèse, le mariage entre la physique, la biologie et la simulation numérique, il s'agit des vaisseaux sanguins. Ce système est certainement plus immédiatement parlant que la cristallisation du silicium...
Je traiterais ensuite du cas des empreintes digitales et de la forme des doigts, en liaison avec la question des formes d'équilibre et des formes de croissance hors d'équilibre fibrées.
La formation de la vasculature.
La formation de la vasculature (veineuse et artérielle), nest pas, comme on le croît souvent, une croissance de vaisseaux, mais un remplacement progressif de petits vaisseaux (les capillaires) par des vaisseaux moyens, gros etc. Ce processus de remplacement est lié aux forces exercéees par le liquide circulant sur les cellules de la paroi du vaisseau; ainsi, le processus de morphogenèse, dans ce cas, est lié à la mécanique et à lhydrodynamique des vaisseaux, et non essentiellement à de la biochimie. Quelque chose comme "un gène du gros vaisseau" ou un "gène du petit vaisseau" n'existe pas, c'est l'écoulement qui promeut les petits en gros. En invoquant lécoulement et le remplacement progressif des petits vaisseaux par des gros, on peut transposer la croissance des arbres de type dendritique en physique (c'est-à-dire des problèmes comme la progression des éclairs dans le ciel) sur le problème de la formation de la vasculature. Cette transposition signifie que l'écriture mathématique du problème des éclairs dans le ciel ou celle de la croissance des vaisseaux sanguins sont extrêmement proches. Si on comprend un des problèmes, on a quasiment compris l'autre. La formation des vaisseaux est mathématiquement analogue à la propagation dune étincelle, d'un éclair, le long d'un grillage de brins fins (analogue aux capillaires).
En utilisant cette analogie on peut construire une vasculature réaliste dans un cas simple comme celui du sac vitellin de lembryon de poulet. Le sac vitellin de l'embryon de poulet est une petite peau qui entoure le jaune, on peut la deviner même sur un oeuf de consommation courante, c'est un peu l'équivalent du placenta chez les mammifères. Evidemment, l'oeuf que vous avez dans votre frigidaire ne développe pas de vaisseaux sanguins car il n'est pas fécondé.
Légende: Simulation de la formation de la vasculature du sac vitellin de lembryon de poulet, les ovales noirs représentents chématiquement lembryon. Les vaisseaux visibles ici (en noir) sont en fait des vaisseaux plus gros obtenus en élargissant les plus fins (non visibles) dans les directions où l'écoulement est plus fort. Finalement, ce mécanisme de formation est assez proche de la formation des rigoles dans le sable, à marée basse, sur les plages, qui donne des "vaisseaux" comme ceux de la figure suivante : Légende: Image de rigoles dans le sable, sur la plage de Jullouville à côté de Granville (Manche).
Le mécanisme par lequel les canaux de cette plage prennent la forme quon leur voit est le suivant. Larborescence de canaux saccroît dans les directions où arrive le plus deau. Leau, du côté lisse et plat de la plage est uniformément répartie, cest un film liquide recouvrant du sable. Au niveau des petits canaux, leau narrive pas uniformément, il y a plus ou moins deau à chaque extrémité, et les canaux qui reçoivent le plus deau seront les premiers à sagrandir. Mais comment savoir quels canaux reçoivent le plus deau? Pour le savoir, il faut résoudre l'équationd e conservation du fluide à toutes les intersectins ou "noeuds" du lacis de mini-rivières, et cette équation ets simplement l'équation de laplace (DELTA P=0) où P est la pression, dans une vision très simplifiée du problème.
Cependant on comprend sans calcul, au moins grossièrement, pourquoi cet écoulement tend à favoriser lémergence de petits canaux, et de plus en plus : si un petit canal savance un peu dans la plage, il capte davantage deau que les canaux restés en arrière. Comme il capte davantage deau, lécoulement y devient plus intense, et il a encore plus de raison davancer, ainsi, peu à peu, mles canaux vont chercher l'eau plus lon vers l'avant, sur la plage, et c'est pour cette même raison que les veines et artères drainent des régions éloignées du corps, comme les extrémités des doigts. L'effet de progression vers l'avant est un effet "boule de neige", sauf que cet effet peut se produire en principe partout, en même temps; seule la connaissance exacte de toute la carte découlement permet de dire où la "boule de neige" (le vaisseau qui grandit) va effectivement rouler, et où pas. Ce mécanisme est très répandu. Dans le cas des cristallisations de silicium, ce sont les atomes de silicium qui "ruissellent". Dans le cas d'une dendrite de cuivre, c'est le courant électrique qui s'auto-organise pour produire ces espèces de fougères métalliques. Dans cette image, on comprend que le système est essentiellement physique, et qu'il y a assez peu de biologie derrière, finalement.
Ayant étudié ce cas bi-dimensionnel, nous pouvons essayer de passer au cas tri-dimensionnel, qui est en fait le plus courant. Les tissus strictement 2D n'existent pas. Même des peaux très fines comme la rétine ou le sac vitellin, ou la peau de l'oreille, sont 3D à l'échelle des vaisseaux. Ici le "mystère" de la formation des arbres vasculaires tient à ce que tous les vaisseaux des deux types (artères et veines) se croisent dans tous les sens dans un désordre apparent, mais se connectent pourtant très naturellement par les capillaires. Voici le type darborescence quil sagit de comprendre :

Légende: Image de vaisseaux sanguins à 3D, moulage de l'intérieur des vaisseaux obtenu par P. Simoens, docteur de l'Université de Gand
Comment une telle structure peut-elle se former? On sent qu'on s'éloigne soudain de la physique, et qu'il doit y avoir quelque chose de proprement biologique à cet enchevêtrement. On peut montrer qu'il est possible de construire très naturellement un enchevêtrement de ce type en invoquant deux processus de croissance de vaisseaux comme décrit ci-dessus, imbriqués lun dans lautre à travers le même lacis capillaire tri-dimensionnel, à condition de tenir compte dun effet connu en biologie, nouveau pour nous : la régression capillaire. Il est connu, en effet, quau fur et à mesure que les vaisseaux principaux se forment, ils se détachent, sur leurs côtés, des capillaires, ne restant connectés à ces derniers que par les extrémités. Les capillaires eux-mêmes finissent même par disparaître tout à fait (ils "fondent", pour ainsi dire). En tenant compte de cette particularité, on peut construire des arbres "entrelacés" qui possèdent cette structure imbriquée, apparemment désordonnée, mais qui permet la connection des artères et des veines par leurs extrémités, qui drainent les parties plus éloignées du tissu.
On fait dabord croître un arbre "artériel", qui se déconnecte des capillaires; cet arbre est obtenu en agrandissant progressivement les tuyaux dans les directions de fort écoulement (comme pour le sable sur la plage). Puis, on fait croître un arbre "veineux" qui croît dans les capillaires non occupés par les artères. Veines et artères se croisent ainsi "sans se voir". Elles sont néanmoins connectées par leurs extrémités, et lon peut montrer que, statistiquement, les veines tendent à rechercher les extrémités des artères, ce qui "apparie" naturellement les veines et les artères (cet effet est observé dans la nature).
En outre le mécanisme proposé permet dexpliquer la phylogénie (lévolution) de cette vasculature. Le raisonnement est le suivant : dans des temps anciens, les tissus étaient simplement irrigués par un lacis de capillaires, où les gros vaisseaux étaient absents. C'est toujours le cas dans des régions de petite taille du corps, ou bien pour certains animaux très petits. Peu à peu, la sensibilité aux forces des cellules des vaisseaux s'est mise en place, provoquant ainsi la possibilité d'élargissement des vaisseaux, et donc la possibilité de drainer plus facilement des régions éloignées, ce qui, dans le même temps, a permis l'accroissement de la taille des animaux.

Légende: Vasculature dartères et de veines enchevêtrées obtenue par le modèle de croissance dendritique entrelacée. Les artères et les veines communiquent par les capillaires (non représentés), qui relient leurs extrémités. Les flèches indiquent le sens de lécoulement veineux et artériel (qui peut dailleurs être calculé exactement dans la "tuyauterie").
Résumé des concepts
Cet exemple illustre les principaux concepts de physique contemporaine, tels qu'ils s'appliquent à la biologie.
Tout d'abord, il est impossible de comprendre la formation d'une structure, sans refaire "tout le film" de la morphogenèse, ce "film" seul permet de comprendre ce qui s'est réellement passé, et par quel chemin on aboutit au résultat final. En fait, lorsqu'on regarde la formation de la vasculature d'un embryon, il n'y a aucun moment où l'on puisse dire "la vasculature est achevée".
Le second point est que les gènes ont un rôle profond, qui est de contrôler la réaction des cellules aux forces physiques, mais on peut se passer du détail de la chimie pour comprendre l'émergence des formes. Les processus de formation ont une grande part "d'auto-organisation", que l'ordinateur permet de modéliser.
Dans cet ordre d'idée, il faut remarquer que les formes sont statistiquement reproductibles, et que le bruit joue un role important. Cependant, l'auto-organisation est suffisamment forte pour contrecarrer les effets du bruit, voir les "lisser" complètement.L'exemple des rigoles dans le sable montre que des mécanismes simples de morphogénèse s'appliquent à des systèmes variés, en une sorte "d'universalité" des patrons. Cette universalité a deux sens. Le premier, le plus facile à comprendre, est que certains mécanismes simples, donnant des formes complexes, sont à l'uvre partout, c'est le sens le plus usuel du mot "universalité". Le second sens, plus ardu a comprendre, est que, au fur et à mesure qu'un système comme un système arborescent croît, il tend à se rapprocher d'une forme idéale qui est indépendante du détail de la physique ou de la biologie du système. C'est aussi pour cela que le détail biologique fin est parfois sans importance.
Ce type de physique aboutit souvent à des formes fractales, comme l'arborescence (réelle) ci-dessous :

On remarquera que ces photographies de cristaux (oui, il s'agit bien de cristaux) constituent en fait un ZOOM dans une structure aborisée et non un montage de plusieurs endroits voisins. On peut s'amuser à chercher l'ordre des agrandissement.
Applications possibles
Il n'y a pas de doute que la science de la morphogenèse est appelée à un grand avenir, et qu'on comprendra bientôt la fomation de tous les morceaux des êtres vivants : cerveau, poumons, doigts etc., avec toutes les applications qu'on peut imaginer, depuis l'aide aux grands prématurés, jusqu'à refaire des doigts à des personnes amputées ou nées avec des malformations. Tout ceci n'est pas de la science-fiction : au cas par cas de telles possibilités existent déjà (la dernière phalange de l'homme repousse après amputation, des chercheurs ont refait un poumon à un jeune chien, etc.).
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